Bernard Vrancken -

H.ELL T.1

Posté par Frédéric Bosser le 03 octobre 2013 dans le Blog


Les premières pages de H.ELL T.1

à lire dans L'Immanquable n°34


C’est un nouveau et beau projet que nous proposent Stephen Desberg et Bernard Vrancken, un duo que vous connaissez bien sur la série I.R.S. H.Ell – beau jeu de mots n’est-il pas ? – est un polar médiéval où le talent graphique de Vrancken prend sa pleine mesure. Nous sommes ravis de pouvoir vous le présenter en avant-première !


H.Ell marque pour nous un vrai tournant dans votre carrière, en ce sens qu’il montre aux lecteurs que votre palette graphique ne se limite pas à une approche réaliste…Un choix d’autant plus étonnant que, I.R.S. étant une série à succès, vous risquez de décevoir voire de perdre vos lecteurs…
Cela m’était devenu indispensable après quatorze albums d’I.R.S. J’avais fini par ronronner dans mon travail… Une situation logique après quatorze ans de bons et loyaux services sur une seule et même série… même si je continuais à prendre beaucoup de plaisir dans sa réalisation. En accord avec Stephen Desberg, il a été décidé de réfléchir à une autre série, sans abandonner pour autant l’idée d’autres tomes d’I.R.S.


Ce sujet s’est-il imposé immédiatement ?
Au départ, j’avais pensé à un western ! Comme Stephen trouvait que mon dessin se prêtait plus à un univers médiéval, nous sommes partis sur du fantastique médiéval. Sa vision était pertinente, car depuis tout petit j’adore dessiner des chevaliers, des princesses, des dragons, des châteaux... Et puis j’y voyais la possibilité de travailler dans l’esprit d’un peintre symboliste belge nommé Fernand Khnopff que j’ai découvert lors d’une exposition à Bruxelles aux palais des Beaux-Arts. Son tableau Des caresses représentant un homme allongé à côté d’une femme moitié guépard, moitié humain m’avait fasciné. Cela m’intéressait de partir dans cet univers graphique…

Cette série est aussi l’occasion pour vous d’être plus créatif et de délaisser les photos, un aspect que l’on avait fini par vous reprocher sur I.R.S….
C’est vrai ! Quand on opère dans l’univers du réalisme, on cherche à coller au plus près de la réalité. Quand les ordinateurs sont arrivés, nous avons tous voulu nous essayer à ces nouvelles techniques avec le risque de provoquer l’overdose, pour nous comme pour le lecteur. En musique, on a constaté le même phénomène avec l’arrivée des synthétiseurs. Cette nouvelle approche m’a beaucoup passionné jusqu’à ce que je m’en lasse. Sur H.Ell, je suis revenu au dessin pur et j’ai retrouvé le plaisir de créer des univers totalement inédits. Tant pis si je fais des erreurs d’anatomie, l’essentiel reste la restitution des ambiances.

Avez-vous changé de méthode de travail ?
J’utilise beaucoup plus les lavis. On peut comparer ma trajectoire, toutes proportions gardées, à celle de Christian Rossi qui après des débuts classiques, a fait sans cesse évoluer son dessin. Sur Deadline, que j’ai découvert dans L’Immanquable, il se permet des choses de plus en plus graphiques tout en restant très lisible et en enrichissant le récit. En fait, je reviens à la technique que j’utilisais à mes débuts et que j’avais abandonnée pour entrer dans les habitudes du monde de la bande dessinée. Je suis vraiment content de pouvoir le faire…


On sent aussi une plus grande liberté sur votre découpage…

Sur I.R.S., il arrivait souvent que les planches soient très chargées, allant jusqu’à neuf cases. Sur H.Ell, le découpage de Stephen est volontairement plus léger. Étant un grand fan de Toppi, j’essaie, toutes proportions gardées, d’avoir la même liberté sur la composition de mes pages. C’est une évolution logique…

Chose possible avec un tel changement d’univers…
Il est clair que sur H.Ell, je n’ai plus besoin de m’entourer de tout un tas de photos et de documentations comme c’est le cas sur I.R.S. Je fais travailler à plein régime mon imaginaire. C’est très excitant ! D’ailleurs pour être honnête, je ne me suis pas vu dessiner cet album tant j’étais pris par une douce euphorie. Pourtant il a été réalisé pendant une période compliquée sur le plan personnel.

Stephen disait dans le dBD n° 76 qu’il attendait de plus en plus de ses auteurs qu’ils le surprennent…
Eh bien, j’espère continuer ! (Rires.)

N’est-ce pas dur de se remettre en question quand on est l’auteur d’une série à succès ?
Je pense que si une série marche, c’est d’abord parce ses auteurs ont pris du plaisir. Quand on commence à perdre cette notion, il devient vital de partir sur autre chose. Si je suis conscient que le risque d’échec existe avec cette nouvelle série, je n’y pense pas tant je suis immergé dans ce nouveau travail. Je redeviens le petit garçon qui aimait dessiner, enfant, pour ses proches et plus particulièrement sa mère. Après, bien évidemment, je serais ravi de toucher un aussi large public que sur I.R.S.

Avez-vous pensé travailler un moment avec un autre scénariste ?
À la base, je devais travailler avec l’écrivaine Thilde Barboni. Elle m’a proposé une très belle histoire – un western – qui malheureusement n’a pas été acceptée par les divers éditeurs à qui nous l’avons proposée. Stephen a été content que je revienne vers lui.



Que raconte H.Ell ?
La déchéance d’un chevalier, autrefois proche de la cour. Du jour au lendemain, cet homme destitué de son titre de chevalier et à qui on interdit de voir femme et enfants se retrouve dans les bas-fonds de la ville comme enquêteur criminel. C’est un univers à la James Ellroy…

Qu’est-ce qui vous a plu dans la proposition de Stephen ?
La façon dont cet homme va se relever et les combats qu’il va mener contre ces êtres polymorphes qui ont la possibilité de changer d’apparence en permanence. C’est une belle réflexion sur l’âme humaine, sur notre apparence physique et sur notre nature animale, le tout mêlé dans une ambiance polar. On est dans l’esprit de la série Game of Thrones.

L’avez-vous visionnée avant ou pendant la réalisation de H.Ell ?
Honnêtement, non ! Je l’ai regardée seulement après, histoire de ne pas être influencé dans mon travail. Et je peux comprendre son succès auprès du public tant elle est bien ficelée.

H.Ell va connaître le même succès, surtout si vous continuez à mettre des femmes aussi belles et énigmatiques…
(Rires.) J’ai fait poser de nombreux modèles chez moi. Quel métier merveilleux nous avons nous autres dessinateurs. En fait, je suis incapable de dessiner une fille moche. Quand c’est nécessaire, Stephen le souligne à l’encre rouge dans son scénario ! Sinon, je n’y arrive pas ! (Rires.)

H.Ell a la particularité de se présenter sous la forme de one-shots ou de diptyques… bref de ne pas être spécialement une série où il faut attendre X épisodes avant de connaître la fin…
Ce sont des formats intéressants. C’est assez ouvert…

Est-ce une solution pour répondre à un marché qui change, plombé par la surproduction, ou est-ce le fruit d’une réflexion personnelle ?
Un peu des deux ! Il est clair qu’il n’est pas évident de lancer aujourd’hui une nouvelle série et que nous sommes conscients que les lecteurs n’ont pas toujours envie de trop attendre pour connaître la fin d’une histoire. Et puis, notre éditeur ne souhaitait pas que nous lâchions I.R.S.

Justement, un mot sur l’avenir d’I.R.S. ?
Je travaille sur un nouvel épisode. Comme je souhaitais faire cela en parallèle de H.Ell, une solution a été trouvée. Daniel Koller, qui travaillait sur I.R.S.- All Watcher, réalise le découpage et les crayonnés et moi, les encrages et les lavis. C’est une autre manière d’aborder cette série. On fera un point avec tous les acteurs quand le tome 2 de H.Ell et le nouvel album d’I.R.S. avec cette nouvelle organisation seront sortis. À titre personnel, si H.Ell marche, je souhaite m’y consacrer complètement en déléguant peu à peu I.R.S. Mais nous n’en sommes pas encore là…

Quid des séries parallèles ?
Au départ, il était prévu que je joue le rôle de directeur artistique, mais j’ai vite vu que ce n’était pas trop mon truc. Je suis trop individualiste pour être en permanence derrière d’autres dessinateurs à distiller des conseils. Aujourd’hui, je ne les regarde qu’à parution des albums… Certains sont de mon point de vue réussis, d’autres moins. C’est le risque pour des séries parallèles. Personnellement, je n’étais pas très chaud au départ pour que cela se fasse, mais Stephen tenait tellement à développer d’autres sujets, comme le football, que je ne me voyais pas m’opposer à ses envies.

Est-ce important d’avoir le soutien de son éditeur quand on se lance dans une nouvelle série, même si on sent bien qu’il tient à ce que vous ne lâchiez pas la série phare de son catalogue ?
C’est indispensable ! Je m’entends très bien avec eux. Toutes ces concertations se sont faites dans une bonne ambiance dès le début.

Avez-vous pensé proposer H.Ell à un autre éditeur, histoire de les mettre en concurrence, mais aussi de ne pas mettre tous vos œufs dans le même panier ?
Je suis très « old school » dans ce domaine. À partir du moment où je travaille bien avec un éditeur, je ne me vois pas aller ailleurs. Et puis, je ne voyais pas d’inconvénients à rester chez eux.

Alors, souhaitons longue vie à tous ces projets et collaborations !

 


Photo © Le Lombard / C.Robin